Ne tirons pas sur l'élastique
Par VilCoyote le vendredi 29 janvier 2010, 11:39 - réflexions ou tentatives - Lien permanent
On parle beaucoup en ce moment de la réforme du programme de sciences
économiques et sociales (SES) en seconde. Denis Colombi y a consacré deux
billets, Vous pouvez consulter le nouveau programme ici.
Alors non, ce programme n'est pas parfait (le(s) programme(s) actuel(s) non
plus, très loin de là : la lutte des classes en terminale, c'est un peu
daté, mais personne ne se plaint), le volume horaire hebdomadaire (1h30) est
sans doute bien juste pour approfondir les choses comme elles devraient l'être.
Mais rien ne justifie l'hystérie collective qui s'est emparée de mes distingués
collègues (oui, je suis prof de SES, pour ceux qui avaient zappé), qui invitent
au rejet en bloc du programme en criant à l'endoctrinement
néolibéral de nos têtes blondes, alors que jusqu'à présent l'indépendance
et l'esprit critique de la discipline étaient garantis par la lecture régulière
d'Alternatives économiques. Personnellement, je défends ce programme.
Premièrement, il n'y a rien de nouveau dans ce programme par rapport à ce
qu'on enseigne déjà en première et terminale. Je dis bien : RIEN. Pourquoi
s'émouvoir aujourd'hui de l'introduction d'idées "néolibérales" (vous aurez
compris que je rejette ce qualificatif débile) que nous enseignons depuis des
années à nos premières (le marché et ses limites) et terminales (le rôle des
taux d'intérêt) sans broncher ? On peut trouver que ça charge trop le
programme de seconde, mais l'attaque idéologique est infondée - et c'est la
première qui a été lancée.
Deuxièmement (et dans la lignée de l'accusation de "néolibéralisme"), on
reproche l'introduction d'outils mathématiques jugés ennuyeux, abstraits,
techniques et inutiles. Des maths, les secondes en bouffent déjà pas mal :
mon manuel propose des fiches sur les calculs de pourcentage, variations (taux,
coefficient, indice), construction de courbes et diagrammes, quantiles et
courbe de Lorenz, distinction valeur/volume, coefficients budgétaires et
propensions. Là encore, pourquoi s'en émouvoir seulement
maintenant ?
S.David, président de l'APSES,
illustre cette critique par l'exemple de l'introduction du calcul
d'élasticité-prix, concept, abstrait et technique, (...) pas nécessaire
pour une première approche de l'économie en seconde. Pas nécessaire, sans
doute. Mais "abstrait et technique" ?.. On aura construit une courbe de demande
(une bonne occasion d'utiliser l'outil informatique, soit dit en passant, et
qui plaît aux 1ère, d'après ce que j'en ai vu), et en montrant sa pente
décroissante on dit "quand le prix baisse de 2€, on voit qu'il y a trois
demandeurs en plus". Voilà, l'élasticité c'est ça (exprimée en rapport entre
pourcentages de variation, notion qui est déjà au programme); what's the big
deal ?
Enfin, si on peut regretter la disparition de certains thèmes (le chômage, pour
reprendre
ce qui émeut le plus, et ce dont parle Dirty Denis) du programme officiel,
ça ne veut pas dire qu'on ne les enseignera plus. En effet, chaque enseignant a
une liberté pédagogique, c'est à dire qu'il est libre quant à la façon
d'aborder les thèmes, quant aux supports utilisés, et quant aux points qu'il
choisira de développer plus que d'autres - ce que nous sommes fatalement amenés
à faire, plus ou moins consciemment, sans parler des nombreux cas où on ne
finit déjà pas le programme. Cette liberté pédagogique permettra à ceux qui le
veulent de continuer à présenter les points du programme actuel qui leur sont
chers, sans pour autant sortir du cadre du programme officiel.
Exemples : certains veulent parler des inégalités de revenu, et
s'offusquent qu'elles aient disparu des textes; qu'à cela ne tienne : le
I-1 du nouveau programme est consacré aux revenus - quoi de plus simple que
d'introduire en complément de cette partie quelques données sur les inégalités
?
On veut continuer à parler de chômage (et c'est bien légitime) ? Le II-2
nous amènera à parler de facteurs de production, donc de travail - pas bien
dur, quand on parle de travail, de parler de chômage - et tant qu'on y est, de
parler rémunération des facteurs, donc partage de la valeur ajoutée, autre
notion disparue dont s'émeuvent mes distingués collègues. "Précarisation de
l'emploi" a disparu, me dites-vous ? Le "caractère mouvant de
l'environnement des entreprises" (II-3) me paraît être un bon prétexte pour en
parler quand même.
Vous l'aurez compris, le programme est une orientation quant aux thèmes à
traiter, et nullement une prescription de ce que doit dire l'enseignant à
chaque heure de cours pendant toute l'année.
Il faut alors savoir ce qu'on veut. Soit on se place d'un point de vue de
principes, et on s'indigne de ce que ces notions aient disparu des programmes
officiels. Soit on se place d'un point de vue pragmatique, de ce qui se passe
réellement dans la classe et donc de ce qui va effectivement rentrer (ou
pas...) dans la tronche des élèves, et alors on sourit fourbement et en
silence, parce qu'on sait très bien que ni le ministre ni l'IPR ne nous
empêcheront de dire ce qu'on veut.
C'est ce dernier point de vue que j'adopte, et toute personne qui a travaillé dans l'Education Nationale sait pertinemment que l'Administration peut bien dire tout ce qu'elle veut, mais ce qui va effectivement se passer et rentrer dans la tête des élèves (c'est un peu l'objectif de l'Education, rappelons-le) ne se décide qu'une fois la porte de la classe refermée, et ne se passe qu'entre l'enseignant et sa classe, pour le meilleur et pour le pire.
Commentaires
Comme ancien professeur de lycée en SES, je suis assez d'accord sur la réalité de la liberté pédagogique qui permet de faire ce qu'on veut au fond - sauf qu'il faut aussi jouer finement avec l'inspection. En lisant la proposition du programme nouvelle version, je me suis même imaginé qu'un esprit un peu tordu pouvait respecter entièrement les textes tout en ne faisant pas du tout plaisir au... MEDEF. Le fond du conflit me semble en effet reposer sur la suspicion qui plane depuis de nombreuses années sur les SES de la part d'une partie de la classe dirigeante de ce pays. De fait, les SES ont été créées dans un contexte politique, économique et social si différent d'aujourd'hui, qu'elles ont pour une partie des dirigeants valeur d'anachronisme - quoi que vous mettiez dedans. On ne recréerait plus la même discipline aujourd'hui, et les collègues le sentent bien.
Malheureusement, les collègues qui gueulent le plus fort ne sont pas forcément les plus représentatifs, ni les plus intelligents. Cette hystérie autour de l'endoctrinement "microéconomique" est ridicule. Le vrai problème, c'est la place de la sociologie, que l'on peut difficilement glisser ailleurs.
Wai mais la socio ça pue alors c'est pas grave ^^
Que va t-on faire en 1ère et en Tle ?
Bonne question, Gaulois... on n'en sait encore rien.
Voilà, maintenant, on va devoir se battre en duel...
Je te laisse le choix du lieu et de l'heure, mais l'arme sera l'Agrafeuse. C'est non-négociable.
Je pensais à un bon vieux mario kart. Tu as une passion ardente pour les agrafeuses ?
Wé, depuis que j'ai vu The Wrestler. Et j'ai des réducs à la Camif sur les boîtes d'agrafes (les restes de la liquidiation judiciaire).
Mais bon, je pourrai me contenter d'un Bomberman, si tu fais ta tarl... ton sociologue.
L'Apses utilise l'argument idéologique parce que c'est celui qui est le plus puissant pour disqualifier le programme et gagner à sa cause de nombreux universitaires. C'est un argument émotionnel assez efficace : la preuve voyons comment les soutiens pleuvent. Mais c'est vrai que c'est un argument infondé, injuste et faible intellectuellement parlant. Pour l'Apses la fin (en finir avec le programme) justifie les moyens (diaboliser le programme). Avez-vous remarqué comment l'Apses instrumentalise la démission de M. Dubet contre le Ministère ? (j'ai écris un billet là dessus) La raison finira par l'emporter si des articles comme le votre tempèrent l'hystérie collective.
Bomberman pourquoi pas, mais va falloir que je me dérouille, j'y ai plus joué depuis l'époque glorieuse de la super nintendo... (pas vu The Wrestler par contre, mais si y'a un combat à l'agrafeuse, je vais aller jeter un oeil).
Puis bon, les économistes, c'est l'équivalent des nerds pour les sciences sociales, non ?